OISSEL – L’INCENDIE DU MANOIR (17e s.) DU QUAI STALINGRAD ÉTAIT-IL ÉVITABLE ? (11/05/21)

Retour en images sur l’incendie qui s’est déclaré le mardi 11 mai 2021, vers 23h, dans le Manoir du 19 quai Stalingrad, à Oissel. Une quarantaine de pompiers ont du s’employer pour venir à bout du feu qui aurait démarré dans les combles de la bâtisse principale, ravageant l’ensemble la toiture.

L’intervention des équipes du SDIS 76 a permis de stopper la propagation de l’incendie au reste du manoir, propriété de la commune depuis 2016. Laissé en état d’abandon, le lieu était connu des squatteurs et des explorateurs urbains. Heureusement, aucune victime n’est à déplorer et une enquête est désormais en cours pour tenter d’élucider l’origine du sinistre.

Au lendemain de l’incendie, l’émotion est présente chez les riverains qui viennent constater les dégâts et leurs mots sont forts. Ils témoignent leur agacement face à la répétition de ce type d’actes sur la commune et à la déconsidération des éléments de son patrimoine.

« Et ça vous étonne vous ? Tout est comme ça ici. L’histoire on n’en a rien à faire. Un jour, vous verrez, le château de la marquise (celui du jardin public) y passera aussi ! C’est une honte, un scandale. » – François

« C’est malheureux, un si beau château. Ce n’est pas normal de le voir dans cet état. Il n’était pas classé ? » – Renée

« C’était prévisible. On voit des gens tout le temps dedans. Et puis ça brûle partout dans Oissel de toutes façons, comme les voitures, les poubelles. Mais celui-là, ils vont avoir du mal à le cacher. Les gens en ont marre et ont peur maintenant. On entend des tirs de « mortier » tous les soirs en ce moment, la nuit aussi. Ça craint et il n’y a rien qui bouge. Mais un jour il y aura un drame. » – Damien

Une vidéo trouvée sur le net – supprimée depuis – dont l’auteur et la date sont inconnus (les images sont clairement récentes), nous fait encore plus prendre conscience de la chance de posséder un tel ensemble au patrimoine local. Remercions nos « soldats du feu » qui, à travers leur intervention et leur professionnalisme nous permettent d’espérer encore un autre avenir pour le manoir.

Histoire et chronologie
A-t-on tout fait pour préserver et protéger le manoir ?

Le manoir – ou château (répertorié ainsi dans l’Inventaire général du patrimoine culturel depuis 1986) – serait une construction du 17e siècle avec deux pavillons latéraux plus anciens et un réaménagement intérieur probablement au 18e s. Il s’agirait alors de l’une des plus anciennes constructions d’Oissel, au même titre que le Manoir de la Chapelle (16e s.) également menacé de destruction et dont l’appel pour sa sauvegarde lancé par un comité citoyen a déjà été relayé sur ce site.

Cette demeure fut notamment la propriété de Joseph LAMBERT (1751-1817), directeur de la monnaie, trésorier particulier de la ville de Rouen, notaire et conseiller du roi.
Fréderic REISET (1815 – 1891) naquit le 12 juin 1815 dans ce château. Il fut directeur général des Musées nationaux sous la IIIe République, conservateur au Musée du Louvre, et grand collectionneur d’oeuvres d’arts. Il fut également un grand ami du peintre Jean-Auguste-Dominique INGRES (1780 – 1867) qui réalisa le portrait de Madame REISET, son célèbre « Augustine », conservé au Musée d’Harvard. 1

Sur cette gravure du 18e s. dédiée à Madame LAMBERT et représentant les quais de Oissel, on distingue facilement, à droite, le manoir. L’artiste lui attribue une place importante dans sa représentation, au même titre que l’ancienne église, à gauche.2

1 Source : Comité citoyen de sauvegarde du patrimoine et de l’environnement de Oissel et des Boucles de la Seine / A. DELOUM
2 Source : Ouvrage « D’un siècle à l’autre – Images d’Oissel« / Ville d’Oissel (juin 1984)

Le manoir a ainsi traversé les siècles. Il aura également traversé les conflits, connu les bombardements. Durant la seconde guerre mondiale, l’armée allemande y installa sa Kommandantur.

Restauré entièrement vers 1960 par M. WATTÉTIENNE, il abrita plusieurs entreprises avant de proposer des logements locatifs.

En 2008, j’ai eu l’occasion de faire quelques photos extérieures et pu constater de la beauté du manoir, de ses dépendances. Le site est alors parfaitement entretenu.

En faisant le tour du manoir, je découvre ce que l’on ne voit pas ; un joyau que l’on ne soupçonne pas : son autre façade, à colombages, s’ouvrant sur un grand parc arboré qui offre un point de vue privilégié sur l’église. Magnifique.

Le manoir est indissociable de l’histoire et du paysage local. Comme ici, lors de l’édition 2012 des « Quais en fête » .

À partir de 2013, le manoir est progressivement vidé de ses locataires et un projet de division de ses 8000 m2 en 3 lots, avant construction, est annoncé (04/06/2013). L’ensemble du site est pourtant dans un état acceptable, donnant la possibilité à une rénovation.

En 2015, selon le PLU de la ville d’Oissel et dans le cadre de la création de protection d’élément(s) de patrimoine, il paraît alors envisagé d’aménager le lieu tout en conservant le château, et de créer un accès vers le parc à partir du parking au nord.

2016 : le rachat par la municipalité,
le début de la fin

Le 16 mars 2016, la municipalité rachète l’ensemble immobilier « pour contrecarrer des projets disproportionnés en nombre de logements (immeuble 140 appartements)« .3 Une action que l’on ne peut que féliciter. Mais au fil du temps, il semble que le projet ai quelque peu évolué…

En 2020, le contraste est saisissant.
Fenêtres ouvertes, vitres brisées, toitures éventrées, terrain sauvage…
Quatre ans après son rachat, le manoir est en piteux état. Une lente déchéance, visible de tou(te)s, due à ce qui s’apparente à une négligence du propriétaire, la ville d’Oissel donc.
Un état d’abandon qui contredit la volonté de préservation annoncée en 2015.

3 Source : Communiqué de presse de la ville d’Oissel du 12.05.2021

La protection du site a été réduite à un cadenas sur la grille d’entrée et l’installation les panneaux de contreplaqués, uniquement au rez-de-chaussée. Il est fort regrettable qu’aucun entretien ni qu’aucune autre action physique n’ai visiblement été entrepris, depuis son acquisition, pour le préserver des ravages causés par les intempéries et des dégradations de visiteurs mal attentionnés.

En juillet , en septembre 2019, sa condition était déjà alarmante :

Une situation qui a également conduit à des signalements/mails de citoyen(ne)s auprès de la mairie et des appels auprès des forces de police. Il est arrivé que les cadenas soient réinstallés par les riverains eux-mêmes, exacerbés par la situation.

Comme le témoignent ces photos prises le 19 avril 2021, il arrivait d’ailleurs assez souvent, et de plus en plus fréquemment jusqu’au soir de l’incendie, que les cadenas « sautent ». La grille d’accès pouvait ainsi rester ouverte plusieurs jours (tout le monde pourrait en témoigner). Dès lors, il est malheureux qu’une surveillance accrue n’ai pas été mise en place.

La suite, on la connait. Et on peut sciemment se demander si tout a été entrepris pour l’éviter.

Après l’incendie, la municipalité réagit :

Source : page Facebook de la ville d’Oissel

« Dans le but de conserver l’état d’esprit de ce site exceptionnel, en bords de Seine » … « Un projet était en cours d’étude avec la Siemor ».

« l’état d’esprit du site » : la formule employée est assez déroutante.
Faut-il comprendre qu’il n’était pas question de rénover le manoir mais bien d’utiliser son emplacement, bien-sûr exceptionnel, pour un autre projet ?

Et maintenant ?
Suite aux propos recueillis sur place auprès de pompiers, seules quelques poutres ont disparu et la charpente pourrait être reconstruite. Pour le sauver, il serait donc urgent de le bâcher.
Quelle décision sera prise ? Quelle volonté ?

Mais alors que se passe-t-il avec le patrimoine de Oissel ?

Quelle est la raison de ce mépris qui d’ailleurs ne date pas d’hier ? Car l’histoire de la commune est extrêmement riche et totalement sous-exploitée :

· Les îles de Oissel ont abrité « Bjorn côte de fer« , premier fils du mythique Ragnar Lodbrok, lors des raids vikings sur Paris.
· Le Manoir de la Chapelle, site remarquable de l’histoire locale, lié à Guillaume-le-Conquérant, au roi d’Angleterre Henri Ier, daté du 16e s. et parfaitement conservé, possédant des vestiges uniques et un intérêt évident pour le patrimoine de la région Normandie.
· Les filatures, en nombre à Oissel, témoignant du passé industriel sur laquelle la ville s’est développée.
· Les briqueteries, dont les cheminées sont toujours visibles. Relevées par la métropole comme l’un des plus important lieu de production de l’agglo. et qui conservent les derniers fours complets de la région.
· Le jardin public avec son château (encore un), son pavillon, cher aux osselien(ne)s, qui ne demande qu’à retrouver sa magnificence, son charme d’antan. Qui se souvient qu’on venait à Oissel en cure, y respirer le bon air ?

La liste est longue et variée.

A l’inverse, les projets immobiliers explosent. Nombreux sont les osselien(ne)s qui déplorent les constructions à tout-va sur le moindre mètre carré, les maisons d’architecte côtoyant les pavillons sans aucune réflexion sur l’harmonisation et défigurant la ville. Les résidences et les logements sociaux, qui s’enchaînent à un rythme infernal.

À force d’effacer l’histoire ou de ne pas l’entretenir, de la revaloriser, quelle ville laisserons-nous ?


A lire pour aller plus loin :

Communiqué du 13.05.2021 : Le château de Joseph LAMBERT – par le Comité citoyen de sauvegarde du patrimoine et de l’environnement d’Oissel et des boucles de la Seine


· Paris-Normandie : Un incendie ravage la toiture d’une maison de maître à Oissel (article du 12/05/2021)

· 76actu : Après l’incendie, une pétition pour demander de « sauver » le château Lambert de Oissel